Allé Diouf, ingénieur en génie civil: "Les mosquées présentent des dangers en période hivernale"
On construit n'importe comment au Sénégal, c’est
l’avis d’Allé Diouf, ingénieur en génie civil, pour qui on n’a pas fini
d’entendre des cas d’effondrement d’immeubles ou de toits. L’expert
attire particulièrement l’attention sur les mosquées qui constituent, à
ses yeux, les édifices les plus vulnérables.
Quelle est la vulnérabilité des bâtiments face aux inondations?
Quand
on parle d'inondations, ce sont dans des zones inondables. Et dans ces
zones, les bâtiments subissent des envahissements des eaux jusqu'à des
hauteurs qui peuvent souvent produire des effets néfastes sur la
construction. Mais, cela relève un peu de la qualité de la construction.
Si celle-ci est bonne, les inondations peuvent être une gêne pour ceux
qui occupent la construction. Mais si la qualité fait défaut, il y aura
forcement des dommages sur la construction.
Et à quelle hauteur l'eau peut-elle endommager les constructions?
Au
Sénégal, on a l'habitude d'entendre des bâtiments qui s'effondrent
durant l'hivernage. Ces bâtiments là sont des ouvrages qui sont
construits avec des matériaux qui ne sont pas de très bonne qualité.
Cela peut être dans des zones où les fondations ne sont pas tellement
profondes. Cela peut être des structures légères où du fait des
écoulements des eaux qui mettent les fondations à nu et peut même les
emporter. Cela crée des zones de fragilité qui fait que le bâtiment peut
s'écrouler à tout moment.
C'est quoi le contexte réglementaire de construction en zone inondable?
Il
n'y a pas de contexte réglementaire. Il ne doit pas normalement y avoir
de zones inondables. On ne peut pas définir une norme en zone
inondable. Les normes de construction sont définies de façon
universelle. Mais, quand on doit construire, il y a des précautions à
prendre. Tout dépend d'abord de la viabilisation du terrain dans lequel
on doit construire. Déjà, quand on parle de construction, c'est dans des
espaces viabilisées c'est à dire que toutes les dispositions pour que
la zone soit habitable doivent être prises. Et il doit y avoir des
réseaux aussi bien électriques que pour l'évacuation des eaux et il faut
qu'elles aillent le plus loin possible. S'il y a des manquements par
rapport à ces dispositions, c'est là où il y aura des conséquences. Et
c'est ce que nous vivons actuellement. Normalement, dans des zones
habitables, il doit y avoir des dispositions telles que lorsque les
pluies arrivent cela ne doit pas poser de désagréments. Seulement, il y a
des zones habitées par des gens qui n'ont pas beaucoup de moyens, et
qui ne sont pas forcément viabilisées. Les gens se débrouillent pour
construire et ce sont des taudis qui y sont érigés. Même si c'est un
bâtiment en dur, c'est un taudis parce qu'il n'y a aucune règle de
construction qui est respectée. Les gens se débrouillent tout juste pour
avoir un toit. Et le toit est souvent mal supporté. La construction
n'est pas aussi chère que cela, mais elle n'est pas à banaliser. Les
coûts doivent être prévus à la construction pour pouvoir être en
sécurité. Le plus souvent lorsque que les bâtiments tombent, ce sont les
toits qui s'écroulent.
A quoi cela est-il dû?
Le
plus souvent, ce n’est pas l'hivernage qui crée les désastres. Ce sont
les toits des bâtiments qui s'affaissent qui posent problème et qui
tuent. Et ce genre de problème ne survient pas seulement dans les zones
inondables, mais c'est le problème de beaucoup de bâtiments au Sénégal.
Et c'est là que les gens doivent prendre conscience. Ces dernières
années, on a vu des mosquées dont les toits s'effondrent. Ces bâtiments
ne tombent pas tout seuls, c'est parce qu'il y avait des signes avant.
Et cela prend quelques années, avant qu'ils ne tombent.
Aujourd'hui,
les endroits les moins sûrs ce sont les mosquées. Ce sont des endroits
qui concentrent beaucoup de monde. Ce sont des endroits qui reçoivent du
public et dans un pays à 95% de musulmans, elles doivent être
sécurisées. Et le drame c'est que ce sont les endroits les plus mal
construits. Le plus souvent, ce sont des œuvres où chacun apporte ce
qu'il peut. On doit pouvoir s'organiser pour qu'elles soient mieux
faites que là où nous habitons. Les toits ne tiennent pas et les
constructions sont mal faites.
Quels sont ces signes?
Quand
l'hivernage arrive et que les dalles ne sont pas protégées, il n'y a
pas d'étanchéité. En général il y a, des produits qui sont destinés aux
dalles de la terrasse qui sont des produits industriels fabriqués.
Toutes les dalles qui sont exposées doivent être couvertes par ces
produits. Les gens construisent même de belles maisons et se passent de
ces produits. Quand l'eau tombe, il y a une partie qui s'infiltre et qui
reste. Ce qui crée des fissures dans les murs. Quand les gens vont
prier, ils voient l'eau qui suinte et c'est là où le danger commence. On
ne doit pas attendre que l'eau suinte dans les dalles. Le processus de
dégradation peut durer 10 ans mais ça finit toujours par s'écrouler
Est-ce qu'il y a un cadre réglementaire qui régit les constructions?
Non. Je ne connais pas un cadre qui s'impose aux gens qui construisent.
Vous voulez-dire qu'il est permis de construire comme on veut au Sénégal?
C'est
ce que tout le monde fait. On construit n'importe comment au Sénégal.
C'est visible aux Parcelles Assainies et dans d'autres quartiers.
Personne ne contrôle les constructions. Il y a un service qui existe,
qui fait le tour et qui fait visite des chantiers pour voir si les gens
ont des autorisations de construction ou pas. Mais, cela ne se fait pas
partout. Il y a un code de l'urbanisme, un code de la construction qui
est appliqué, mais qui n'est pas encore en vigueur. Il y a le Descos qui
est dirigé par les militaires, mais les gens ne sont pas inquiétés, ils
construisent comme ils veulent. Il n'y a pas d'entrepreneur dans les
chantiers. Bien souvent, c'est un ouvrier qui fait office
d'entrepreneur. A Dakar encore, il y a quelques contrôles, mais dans les
régions c'est pire. On voit des constructions partout sans aucun
contrôle.
Que conseillez-vous dans ces conditions?
Nous
y avons tous une part de responsabilité. Quand on identifie un bâtiment
qui suinte, on doit pouvoir aviser les autorités, parce que c'est un
danger que nous courrons tous. Encore, il faut s'assurer de l'étanchéité
des bâtiments, ne pas acheter n'importe quel produit. Vous pouvez
appeler et prendre conseil gratuitement sur les produits à utiliser.
Cela ne coûte absolument rien.
Mais est-ce que cela ne risque pas d'installer une culture de délation entre voisins?
Non
pas du tout. Il ne faudrait pas voir les choses ainsi. Les bâtiments
qui s'écroulent présentent un danger pour nous tous. Donc, lorsque l'on
sent que la maison de son voisin est en danger, le mieux à faire c'est
de prévenir les autorités compétentes parce que le toit peut même
s'écrouler sur vous. Le danger est permanent et peut survenir à tout
moment. Il faut prendre les mesures idoines. Mais, j'interpelle surtout
les gens sur le cas des mosquées. Ce sont les lieux qui présentent le
plus de danger surtout en cette période hivernale. Je tiens à
interpeller les gens particulièrement sur ça. Si vous voyez les toits
des mosquées qui suintent, il faut prévenir le plus vite possible.
Lala Ndiaye-Senewebnews
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